A bout de course est l'occasion inespérée de découvrir des talents de Sidney Lumet que l'on ne soupçonnait pas. En effet, Lumet, habituellement cantonné dans les films policiers, opère ici dans un registre inhabituel pour lui, et s'impose, avec ce seul film, comme un grand cinéaste de l'émotion.
Pendant presque deux heures, A bout de course se vit comme une plongée à la fois sensible et sincère au sein d'une famille pas comme les autres. Admirablement écrit, le scénario développe des personnages tous plus attachants les uns que les autres, en laissant une liberté aux acteurs qui les incarnent. Cette liberté est palpable tout au long du film: chaque personnage est extraordinaire de naturel, de spontanéité et d'humanité, et la pléiade d'acteurs est exceptionnelle (avec, en premier lieu, Christine Lahti, qui irradie le film de sa beauté fragile, et River Phoenix, particulièrement touchant dans la peau d'un adolescent tiraillé entre sa famille et son désir personnel). L'histoire, poignante, amène le spectateur à s'interroger sur le sens de la famille, le poids du passé, de la responsabilité et de l'engagement. Le récit suit plus particulièrement le parcours de l'adolescent, partagé entre sa soif de liberté (son amour pour une fille, son destin musical) et sa famille, qui fuit constamment la police depuis que les parents ont commis un attentat politique. Petit à petit naît un sentiment de révolte à l'égard des parents qui lui font indirectement payer un crime qu'il n'a pas commis. En toile de fond, A bout de course s'intéresse à l'ambiguité de l'engagement idéologique: se battre pour ses idées nécessite-t-il de sacrifier sa vie? De sacrifier celle des autres (de façon directe, avec le garde tué malencontreusement au cours de l'attentat, et indirectement, avec les enfants qui sont obligés de suivre leurs parents dans la cavale)? Sans pour autant négliger cette portée politique, Lumet met en avant la mouvance des sentiments, l'intensité des relations humaines, avec une justesse de ton et une sincérité telles que le film ne sombre à aucun moment dans le pathos ou la guimauve. C'est dans ce dosage savamment orchestré des émotions que Lumet se révèle très talentueux.
A bout de course impose Sidney Lumet comme un cinéaste du sensible: aussi beau qu'injustement oublié, son film est une merveille de simplicité, d'humanité et d'évidence.
9/10