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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 15:05
Pour la manière dont le récit transcende les poncifs pour les pousser dans leurs derniers retranchements, pour l'élégance suprême d'une mise en scène qui s'autorise pourtant les pires excès, J'ai rencontré le diable est le dernier et ultime représentant d'un genre qu'il enterre définitivement.
Dès les premières images, tout est amené de façon prévisible (la jeune femme paumée au milieu de nulle part avec sa voiture dans l'attente d'une dépanneuse, l'inconnu mystérieux qui se propose de l'aider, l'attaque qui s'ensuit), mais le film se distingue par sa majesté visuelle: la classe de la mise en scène, associée à la beauté glacée de la photographie, crée une alchimie formelle exceptionnelle, qui culmine lors de séquences anthologiques (le massacre dans le taxi, la course-poursuite du tueur après avoir perdu sa trace). Kim Jee-Won est aussi à l'aise dans la pose élégante que dans la fulgurance chaotique : il filme ce récit avec âpreté, lui confère une atmosphère morbide qui marque, transcendant ainsi un récit simpliste qui n'aurait pas eu autant d'impact avec un autre cinéaste. Pour ainsi dire, J'ai rencontré le diable se construit sur les ficelles les plus éculées du genre, mais le cinéaste prend un plaisir absolu à les distordre, les étirer, les interpréter et se les réapproprier: Kim Jee-Woon recrée à partir d'un acquis, transcende les poncifs sur lesquels son récit repose. Le scénario obéit à une mécanique admirablement rodée, dont les schémas se répètent, s'inversent, et parfois même se dispersent (l'épisode du cannibale est une pure digression, prétexte à aligner des enchaînements de violence stylisée, qui éloigne le récit de sa substance et des enjeux principaux) jusqu'à l'excès. Dans une production actuelle où le risque n'est plus de mise, le film de Kim Jee-Woon fait figure d'exception: récit incroyablement jusqu'au-boutiste et animé d'une rage visionnaire, J'ai rencontré le diable est l'oeuvre totale d'un cinéaste qui va jusqu'au bout de son délire quitte à laisser les spectateurs sur le carreau, qui dénigre toute morale quitte à s'attirer les foudres des plus conservateurs. De n'importe où qu'on l'envisage, J'ai rencontré le diable est un film sur la souffrance: il n'est pas question de vengeance en tant qu'instrument destiné à tuer, mais comme moyen de faire souffrir sur la durée. Kim Jee-Woon nous plonge en des contrées où la cruauté et l'instinct primal sont rois: ici, l'humanité n'est pas à la dérive, elle est humiliée, dévorée par le mal, esseulée et laissée agonisante sur le trottoir d'une rue malsaine. A tous les niveaux, Kim Jee-Woon et son film vont tellement loin que rien, ni avant ni après, n'a réussi ou ne réussira à rivaliser dans la surenchère virtuose. Parfois à la limite du grotesque, assumant toujours le trop-plein, J'ai rencontré le diable est le film de tous les excès: la violence est omniprésente, la durée étendue à l'infini, l'interprétation premium, le récit déviant et barré. Tous les procédés sont dynamités, assénés jusqu'à l'écoeurement (notamment par ce mécanisme répétitif dans la narration, et la violence de tous les instants). S'appuyant sur un duel d'acteurs anthologique (Lee Byung-Hun est très convaincant, secondé par l'immense Choi Min-Sik). Cette proposition de cinéma totalement suicidaire retranscrit la déshumanisation d'un monde, jusque dans sa stupéfiante conclusion, où le personnage principal, par son dernier acte, prend conscience de ce qu'il est devenu.

 Le film de Kim Jee-Woon, plus que de nous y faire croire, nous confronte littéralement au Diable sur près de 2h20. J'ai rencontré le diable est un film malade, bourré de contradictions, qui crache sa noirceur abyssale et son symbolisme désespéré à la gueule d'un spectateur dévasté, et laisse un goût de sang dans la bouche: l'expérience est une déflagration extrême dont on ne ressort pas indemne, et qui marque pour longtemps.
9/10



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commentaires

D
J'adore votre façon d'exprimer vos points de vues. N'avez-vous jamais pensé à vous lancer dans le journalisme?
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J
<br /> <br /> Merci beaucoup... en effet à l'heure actuelle j'hésite encore entre faire du cinéma ou faire du journalisme:)<br /> <br /> <br /> <br />
V
Je suis d'acc, film de tous les excès mais meilleur film de l'année pour l'instant.
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  • : La longue élaboration de ce blog de critiques cinématographiques est le témoignage de ma passion pour le Septième Art. J'écris ces critiques davantage pour partager mon point de vue sur un film que pour inciter à le voir. Ainsi, je préviens chaque visiteur de mon blog que mes critiques peuvent dévoiler des éléments importants de l'histoire d'un film, et qu'il vaut donc mieux avoir préalablement vu le film en question avant de lire mes écrits.
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  • Depuis très jeune, l'art est omniprésent dans ma vie: cinéma, musique, littérature... Je suis depuis toujours guidé par cette passion, et ne trouve pas de plaisir plus fort que de la partager et la transmettre aux autres.
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