Caméra d'Or au festival de Cannes, Année bissextile est un film étonnant de maîtrise, qui prend à bras-le-corps un sujet audacieux, le passant à la moulinette d'une mise en scène épurée, reposant sur la précision de ses cadrages et la pâleur de ses lumières.
Année bissextile est un modèle d'efficacité minimaliste au cinéma: des plans fixes, un appartement, une poignée d'interprètes. Il n'en faut pas plus à Michael Rowe pour donner chair à un script aux enjeux en apparence fort simples, mais qui dissimulent de profondes interrogations sur la nature humaine. Michael Rowe compte le destin d'une âme esseulée, Laura, errant tel un fantôme dans son appartement, pour qui manger, dormir et travailler constituent l'unique passe-temps, et dont les seuls contacts avec l'extérieur se résument aux coups de téléphone, aux regards honteux sur l'appartement d'en face et aux aventures d'un soir. Il suffit de quelques plans au cinéaste pour dresser de manière remarquable un portrait cru et sans concessions de ce personnage à la dérive. Puis vient l'élément perturbateur qui enraye la mécanique jusque-là tristement huilée de la routine: l'irruption d'Arturo dans la vie de Laura enclenche une libération intérieure de la jeune femme, par des moyens pour le moins peu consensuels. Ici, il est question d'être brutalisé pour s'éveiller à une sensibilité en perdition et s'ouvrir à une tendresse que l'on ne soupçonnait plus, de s'humilier pour retrouver sa dignité, de se détruire pour renaître à la vie (à l'acte de violence succèdent l'apaisement, les caresses, les sourires et les regards complices). Seulement, si c'est Arturo qui dicte le déroulement des événements, c'est bien Laura qui fera preuve au final du plus de radicalité (la proposition qu'elle lui fait à la fin est incroyablement dérangeante, où quand plaisir et désir de vie se muent en désir de mort).
Année bissextile est un film cru, exigeant, osé, sans artifices ni circonvolutions hasardeuses, et qui mérite d'être remarqué.
7/10