Avec Série noire, Alain Corneau atteint les sommets du film noir à la française. Une oeuvre à l'esthétique sombre et austère pour un script particulièrement brillant.
Série noire se distingue avant tout par la qualité unanime du casting avec, en tête d'affiche, un Patrick Dewaere époustouflant dans un rôle aussi psychologique que physique. Il confère à ce personnage de représentant de commerce une vitalité, une nervosité constantes, un état d'esprit teinté de détachement, de tendresse et de violence, toujours avec justesse, un rôle complexe et terriblement ambivalent qui lui sied à merveille, tant l'acteur est habité et n'hésite pas à aller jusqu'au bout (la violence des coups de tête sur le pare-choc de la voiture a été totalement improvisé par l'acteur; de même que la séquence où il plonge la tête sous l'eau dans la baignoire durant un temps suffisamment interminable pour que l'équipe de tournage soit sidéré et ne sache pas comment réagir face à cette apnée qui prenait des airs de suicide en direct). L'acteur est en état de grâce tant il parvient miraculeusement à trouver un point d'équilibre entre l'excès et le crédible. Et que dire de Marie Trintignant, totalement envoûtante et troublante dans l'un de ses premiers rôles: elle campe une adolescente ambigüe à l'extrême, à la fois angélique et manipulatrice. Le reste de la distribution est également exceptionnelle: Myriam Boyer touchante dans le rôle de la femme de Dewaere, et Bernard Blier qui campe un opportuniste avec cynisme et sobriété. Série noire, c'est surtout un récit sombre et complexe, qui prend sa source dans le quotidien morne et malsain de ces personnages pour les confronter à une situation exceptionnelle qui les bouleversera à jamais. Réflexion puissante sur l'homme, partagé entre l'aliénation d'une société toujours plus corrompu par l'argent et la beauté insaisissable de l'amour, Série noire est un récit de l'ambiguité, une descente aux enfers terrible et pourtant lumineuse, remarquablement mis en image par Alain Corneau dans une logique d'austérité, de froideur, d'atmosphère poisseuse sur fond de quotidien désabusé. A cet égard, la fin reflète l'ensemble du long-métrage: l'amour l'emporte sur la corruption, mais l'avenir est sans issue, probablement tragique. Une fin ambivalente pour un film qui ne l'est pas moins.
Série noire est une oeuvre remarquable, qui conjugue interprétation premium, script brillant, et mise en scène naturaliste, pour un résultat puissant et déstabilisant. Alain Corneau ne nous offre pas moins qu'un petit diamant noir avec ce film.
8/10