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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 13:55

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Plébiscité par la presse et le public à Cannes, le dernier film de Léos Carx est repartit bredouille, boudé par le jury. Au-delà de la controverse, qu'en est-il du film lui-même?   
Holy Motors tient le pari de manier les symboles, les références, tout en restant, dans les grandes largeurs, accessible: Carax s'autorise tout sans jamais trahir la sincérité de sa démarche, ni l'intelligence du spectateur. Le réalisateur des Amants du Pont-Neuf nous propose tout autant un regard sur la puissance d'imaginaire du cinéma que sur la beauté de l'acte qui la fait naître: ainsi, Holy Motors est peut-être avant tout un film sur la nécessité de créer. Plus qu'un hommage à l'art qu'il pratique, Leos Carax propose une réflexion à la fois dense et ouverte sur l'essence et l'avenir du cinéma, métaphorisant ces corps fictifs, de pure représentation, que sont les personnages (capables de renaître après avoir été criblé de balles, ou de s'évaporer littéralement au détour d'un plan), questionnant la dématérialisation de la pratique créative (avant les caméras étaient visibles, maintenant elles se fondent dans l'environnement, nous dit en substance M. Oscar; ou encore le développement de l'ère numérique, qui permet des avancées considérables en terme d'effets spéciaux) et l'avenir d'un art tant admiré (avec ce dialogue sublime entre Lavant et Piccoli: -Pourquoi faites-vous encore ce métier? -Je continue comme j'ai commencé: pour la beauté du geste. -On dit que la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde. -Et si plus personne ne regarde?). Rarement un tel respect n'aura été témoigné envers le spectateur (c'est lui qui fait la beauté d'une oeuvre), mais rarement une telle responsabilité n'aura aussi été placée en lui (il a pouvoir de vie et de mort sur le cinéma). Pour autant, Holy Motors n'est pas une vieille statue figée, passéiste et nostalgique d'un cinéma plus authentique: Carax joint ainsi à sa symphonie les techniques les plus récentes (la motion capture), mais toujours pour mieux souligner l'importance des corps, sans quoi l'effet serait irréalisable (et ici, tout le monde peut s'accorder pour dire que les formes scintillantes des acteurs qui se meuvent dans l'obscurité sont bien plus belles et gracieuses que le résultat numérique dévoilé à la fin de la séquence). Denis Lavant, exceptionnel de bout en bout, endosse une multitude de rôles, qui organisent le récit en segments, comme autant de synthèses d'un genre ou d'une façon de faire du cinéma: ainsi subsiste l'impression revigorante, en y repensant avec le recul, d'avoir vu dix films en un. Ici, le métier d'acteurs est présenté comme une errance de funambules qui jonglent avec les rôles comme on exécute des contrats, et pourtant vivant à travers eux, traînant leur mélancolie dans des limousines blanches, devenus seuls dépositaires d'une poésie du corps engagée sur une pente déclinante. Leos Carax s'intéresse aussi à la confusion entre réel et imaginaire, à l'interpénétration de l'art et de la réalité: au final, n'est-ce pas la séquence entre Denis Lavant et Kylie Minogue, réelle et brève rencontre entre deux rôles à interpréter pour chacun d'eux, qui apparaît comme le passage le plus lyrique, le plus mis en scène, autrement dit le plus cinématographique, du film? Et que dire de ce masque des Yeux sans visage porté par Edith scob à la fin, si ce n'est que la référence à l'art fait partie intégrante du réel? En poète virtuose, Carax nous assène un prologue métaphorique qui, par la seule puissance évocatrice des images et du son, parvient à saisir la notion de création dans son essence la plus pure: une fois la déroute première passée, ces quelques minutes suffisent à expliciter l'ambition d'un projet qui, pour peu que l'on accepte de le déchiffrer, n'a d'autre raison de vivre que de susciter le beau, de célébrer l'art, d'accepter la vie. Loin d'être un vulgaire pensum, Holy Motors est entièrement dédié à la sensation. A partir de là, Carax peut ouvrir les brèches d'une imagination débordante qui ne craint rien ni personne: il s'autorise un entracte musical (par ailleurs absolument sublime), et ne se refuse même pas au comique le plus pathétique: le segment sur "Merde" est un modèle d'absurdité proprement hilarante. Pour peu que l'on accepte l'expérience, Holy Motors est une pure merveille.

Ce ne serait pas rendre justice à l'intention de Carax que de qualifier son film d'abscons ou de prétentieux: derrière les symboles et les métaphores se cache en effet un propos d'une sincérité désarmante. Holy Motors est tout sauf un pensum qui assènerait des vérités ou anticiperait, tel un messie, la mort du cinéma. N'oublions pas que le film se conclut sur un "Amen": Holy Motors n'est rien d'autre qu'une prière poétique sur la crainte de la dépersonnalisation et la déshumanisation d'un art menacé par la tentation de l'immatériel, en même temps qu'une supplication adressée aux spectateurs, seuls véritables juges d'un art dont ils ont permis l'émancipation et se doivent de garantir la survie. 

9/10

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  • : La longue élaboration de ce blog de critiques cinématographiques est le témoignage de ma passion pour le Septième Art. J'écris ces critiques davantage pour partager mon point de vue sur un film que pour inciter à le voir. Ainsi, je préviens chaque visiteur de mon blog que mes critiques peuvent dévoiler des éléments importants de l'histoire d'un film, et qu'il vaut donc mieux avoir préalablement vu le film en question avant de lire mes écrits.
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  • julien77140
  • Depuis très jeune, l'art est omniprésent dans ma vie: cinéma, musique, littérature... Je suis depuis toujours guidé par cette passion, et ne trouve pas de plaisir plus fort que de la partager et la transmettre aux autres.
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